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LIBRES OPINIONS POUR MEMOIRE
31 janvier 2017

LE SOUCI METAPHYSIQUE POUR UNE VIE SOUVERAINE

 

 


 

 

               
     
 
   
 
     
 
   

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

TABLE DES MATIERES

 

1. Plaidoyer pour la rupture de l’isolement philosophique de l’Afrique Noire. Discours d’ouverture à la séance de soutenance de ma thèse pour le Doctorat d’Etat ès Lettres, Amiens, le 22 juin 1976…………….…………………………………….p.5.

2. Mon itinéraire intellectuel au service de l’incontournable partenariat « Grecs »-« Barbares », « Barbares »-« Grecs », pour l’édification d’une maison humaine commune. Entretien philosophique avec les étudiants de l’Institut  philosophique jésuite St Pierre Canisius (RDC), sur invitation………p.17.

3. Dieu, mythe vaincu par la science ou réalité indomptable par le Professeur Kuzenzama…..p.37.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

PHOBA MVIKA J.

Dr ès Lettres d’Etat

PROFESSEUR ORDINAIRE

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

I

 

 

PLAIDOYER POUR LA RUPTURE DE L’ISOLEMENT PHILOSOPHIQUE DE L’AFRIQUE NOIRE

DISCOURS D’OUVERTURE A LA SEANCE DE SOUTENANCE DE MA THESE POUR LE DOCTORAT D’ETAT ès LETTRES

AMIENS, 22 JUIN 1976

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

UNIVERSITE DE PICARDIE

AMIENS, 22 JUIN 1976

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Monsieur le Président,

Madame et Messieurs les Membres du jury[1],

 

Comme vous le savez, l’une des règles essentielles de la méthode philosophique, selon Bergson, est la précision.

 

Pour lui, l’explication, qu’il faut juger satisfaisante est « celle qui adhère à son objet : point de vide entre eux, pas d’interstice où une autre explication puisse bien se loger ; elle ne convient qu’à lui, il ne se prête qu’à elle2 ».

 

Voilà bien un idéal auquel tout auteur aspire : traiter son sujet de manière si adéquate, si exhaustive qu’aucune lacune ne puisse subsister.

 

On voit bien que ce n’est là qu’un idéal. Car il y a des sujets, si pas tous, qui recevraient plusieurs traitements valables. La coïncidence avec l’objet de son étude est toujours relative au sujet pensant, à ses capacités forcément limitées d’ouverture.

 

Les chemins de la coïncidence avec l’être sont donc multiples. Aussi, encore que l’expression française s’applique mal à moi, ne rougirai-je pas d’ajouter à l’explication théologico-philosophique occidentale de mon objet d’étude ce que l’on pourrait appeler sa lecture philosophique africaine, pour tenter de marquer, mieux que je n’ai pu le faire, je le crains, l’unité interne de ce travail et son projet unificateur.

 

Rassurez-vous, Monsieur le Président, Madame et Messieurs. Il ne s’agit pas de vous relire les pages, que vous vous êtes déjà donné la peine de parcourir pour me signaler, le moment venu, les lacunes, qu’auront à combler mes travaux à venir. Ce que je voudrais, c’est de reprendre devant vous le cheminement intérieur, qui m’a conduit, de la réaction contre l’enseignement moral reçu à ce que je considère comme l’aboutissement actuel de mes efforts de réflexion, c’est-à-dire la réponse à la question de savoir si oui ou non l’Afrique Noire chrétienne peut bénéficier du renouveau de la Théologie morale catholique, si jamais il était établi que ce renouveau est possible en Occident.

 

Commençons par le commencement. Le point de départ de ce travail, je l’ai indiqué, c’est le mécontentement créé en moi par l’enseignement moral catholique reçu.

 

Cet enseignement théologique me déplaisait, parce qu’il ne se souciait guère de prendre en compte les us et coutumes de nos peuples. Il m’apparaissait comme un corps étranger, une doctrine à prendre ou à laisser. Il nous le fallait prendre, non pour être sauvé, mais, pour être homme !

 

Mes réflexions s’engagèrent donc dans la voie de la réaction. Aussi notre travail pourrait-il paraître comme une entreprise de plus de revendication anticoloniale, avec tout ce qu’implique d’anachronique et de puéril ce genre d’entreprise.

 

Il est, en effet, des auteurs de la psychologie de la colonisation, qui n’hésitent pas à assimiler les revendications des colonisés à des réactions infantiles, témoignant de leur incapacité d’admettre les hommes tels qu’ils sont.

 

Encore que je ne sois pas allé voir un psychanalyste, j’ose croire que mon entreprise n’est pas le fait d’un esprit morbide, mal adapté. Elle est conséquente à une observation, que j’estime objective. Celle-ci a porté sur le comportement de ce que le catholicisme romain a de plus essentiel, à savoir, son enseignement moral. N’importe qui peut observer que la tolérance n’est pas son point fort et qu’eu égard au regard d’amour de l’évangile de Jésus-Christ, cet enseignement ne peut pas ne pas faire problème. Le problème de l’inadéquation entre l’enseignement moral catholique et le message religieux du Nouveau Testament n’est ni anachronique, ni puéril.

 

Par ailleurs, il faut bien voir qu’il concerne davantage l’Occident chrétien que l’Afrique coloniale. Car, tandis que la culture occidentale est profondément imprégnée du christianisme, l’Afrique noire entièrement et exclusivement chrétienne n’existe pas aujourd’hui. Aussi est-ce en Occident et de préférence par un occidental que le problème, que nous soulevons, doit être résolu.

 

L’Africain, qui s’interroge sur lui, aujourd’hui, doit éviter de se l’approprier. On peut même dire qu’à moins d’appartenir à un peuple, dont le contact avec l’Occident chrétien remonte loin dans l’histoire, aborder ce problème, quand on est Africain, c’est s’engager dans une aventure sans lendemain.

 

Si, comme Africain, je me suis proposé d’aborder ce sujet, c’est parce que j’appartiens, comme Mukongo, à un peuple de vieille chrétienté, même si l'on doit compter plus d’un siècle d’absence hiérarchique chrétienne.

 

D’après le peu, que j’en sais, la christianisation de mon peuple (le peuple Kongo) a commencé au XVème siècle. Et le problème, dont il est ici question, se pose dans la première moitié du XVIème siècle, sous le règne du plus grand roi chrétien du Congo, Afonso 1er, qui régna de 1506 à 1543.

 

On peut noter deux faits historiques bien connus des spécialistes de l’histoire du vieux Congo. Le premier, qui consacre l’éclatement de la société congolaise, est la victoire, en 1506, de Dom Afonso 1er sur son frère Panzu, hostile au christianisme. Le deuxième, qu’il faut mettre à l’origine du mépris des coutumes congolaises par les Portugais et d’autres étrangers, est l’instauration, en 1512, au Congo, d’une juridiction spéciale pour les Portugais.

 

Afonso 1er, accédant à la pression du roi du Portugal, ouvrait une brèche aux conséquences incalculables. L’assimilation des coutumes congolaises à la barbarie n’allait pas tarder. Quand, deux siècles plus tard, plus précisément, en 1747, la Pratique missionnaire paraîtra, il faudra à son auteur beaucoup de courage pour soutenir que les Bakongo avaient des coutumes justes et honnêtes, qu’ils avaient appris certains vices au contact des Européens. Car, depuis longtemps, l’hypothèse de travail des missionnaires était  que  les Bakongo n’avaient aucune loi et qu’ils devaient tout apprendre du catholicisme romain.

 

Si irritant que cela puisse être, cette hypothèse a encore cours aujourd’hui, en dépit des apparences. La déclaration ci-après du jésuite belge, Jules Van Decasteele, dans une revue locale, Telema, est toujours d’actualité : « l’évangélisation de l’Afrique a pris appui sur une critique radicale des religions ancestrales : ce n’était que fétichisme grossier, coutumes brutales, superstitions diaboliques, paganisme sauvage. La mission chrétienne réalisait une entreprise de déculturation intégrale, entraînant automatiquement une grande crise d’identité ».

 

Bref, l’enseignement moral catholique, fer de lance du catholicisme romain, ne pouvait que créer chez l’Africain une grave crise d’identité. Mais, comme en témoigne la crise actuelle de la théologie morale catholique en Occident, il me fallait bien voir que l’Africain n’était pas la seule victime de l’enseignement moral catholique.

 

Ainsi ai-je pu me rendre compte que la « catholicisation » à tout prix de l’Afrique avait produit les mêmes effets que la « théologisation » inconditionnelle de l’Occident. J’ai été surpris, en effet, de remarquer que, quand, pour la première fois, diraient les pessimistes, une fois de plus, diraient les optimistes, la théologie morale catholique a cessé de paraître comme un instrument d’oppression des consciences pour devenir simplement un guide du dialogue des croyants avec leur Dieu, elle s’est heurtée à des difficultés insurmontables. Tout semble s’être passé comme si cette mue allait ébranler l’édifice ecclésiastique entier, comme si, alors, le chercheur était acculé à choisir : pour ou contre l’Eglise.

 

Cette situation de crise véritable m’a paru d’autant plus surprenante qu’elle survenait après des déclarations conciliaires, dont on ne peut contester la pureté évangélique d’intention, qu’elles mettaient aux prises des hommes également attachés à leur foi catholique et reconnus comme tels par le camp opposé.

 

J’ai été ainsi amené à la question de savoir s’il ne se posait pas, par théologie morale interposée, un problème culturel de fond, notamment celui que suscite la difficulté de surmonter la dualité, d’origine platonicienne, de la nature et de la surnature.

 

Et comme, par ailleurs, je croyais, un peu trop naïvement peut-être, que le dualisme lié à la théorie platonicienne des idées était l’un des problèmes essentiels que tentent de résoudre toutes les grandes métaphysiques occidentales, j’ai cru devoir étudier la solution qu’en propose l’une d’elles, la philosophie bergsonienne. C’est donc à travers cette philosophie, que je devais répondre à la question de savoir si oui ou non l’Afrique Noire chrétienne peut bénéficier du renouveau de la Théologie morale catholique, si jamais il était établi que ce renouveau est possible en Occident.

En d’autres termes, c’est à la philosophie bergsonienne que j’allais demander de rompre l’isolement philosophique imposé à l’Afrique Noire, depuis des siècles. Lisant Bergson, j’ai appris que le dualisme culturel occidental pouvait être surmonté, que l’unité perdue, à savoir la communion naturelle avec Dieu, pouvait être recouvrée, mais à condition de prendre le contre-pied des Grands Grecs.

 

Car, si l’on persiste à commencer, à l’instar de Platon, par poser Dieu comme idée suprême, on proclame par le fait même l’impossible ascension vers lui. La communion de l’homme avec Dieu restera ainsi aussi absurde qu’improbable. Par contre, si l’on interroge les hommes, qui ont invoqué Dieu, ils nous apprendront  que non seulement la communion est possible, mais le dialogue indispensable. Dieu a besoin de l’homme, disent ses meilleurs témoins. L’idée du dialogue de la conscience de l’homme avec l’être suprême devient ainsi une idée claire et distincte.

 

Telle est la conclusion essentielle à laquelle a abouti ma lecture de Bergson, qui semble s’être fait un point d’honneur d’aller plus loin que ses devanciers et de passer pour le principal héritier des efforts vers l’unité depuis Aristote.

 

Ainsi, dans la mesure où la crise contemporaine de la Théologie morale catholique est d’origine culturelle, c’est-à-dire lié au dualisme fondateur de la métaphysique grecque, je devais dire que le bergsonisme permettait de la surmonter.

 

L’Occident possède donc, au niveau de sa philosophie, la solution de son problème théologique. Bref, le renouveau est possible en Occident. Le tout, pour moi, était de savoir si ce renouveau était possible aussi en Afrique Noire ou si, au contraire, par manque de témoins authentiques de Dieu, il ne fallait pas maintenir sur le continent noir l’enseignement moral catholique traditionnel, dont le moins que l’on puisse dire est qu’il est culpabilisant.

 

A cette question essentielle j’ai donné la réponse que l’on sait. J’ai montré, en dépit des dénégations des missionnaires, qu’il y avait aussi en Afrique des témoins authentiques de Dieu. Ce qui revient à dire, en termes bergsoniens, que l’Afrique a aussi ses héros,  ceux à qui on doit se reporter, « pour avoir cette moralité complète, qu’on ferait bien d’appeler absolue ».

 

J’ai ainsi rétabli le lien philosophique rompu entre l’Afrique Noire et l’Occident chrétien et aussi entre la nature et la surnature. L’Afrique a aussi ses Saints, ses personnalités exceptionnelles, ses héros.

 

Elle a donc droit aux bienfaits qu’apportent à l’humanité les intelligences supérieures, dont la mission est, selon le « Testament philosophique » de Ravaisson, de penser « la philosophie héroïque, celle des magnanimes, des forts, des généreux ».

 

La critique du platonisme de la Théologie morale catholique, par bergsonisme interposé, peut donc naturellement profiter aussi à l’Afrique Noire. CQFD.

 

La question du comment de ce renouveau soulève le problème difficile du renouveau culturel occidental et africain que nous n’avons fait qu’entrouvrir. Nous ne l’avons donc pas résolu, loin s’en faut, tant est profonde la méfiance entre le « Grec » et le « Barbare » : le « Grec » rechigne à pactiser avec le « Barbare » et le « Barbare » se méfie du « Grec », comme de la peste.

 

Comme on peut le voir, par ces propos et par la lecture, que vous en avez faite, tout ce travail repose sur mon appréciation de la situation postconciliaire de la Théologie morale catholique en Occident. C’est un risque énorme que j’ai couru, qui n’est autorisé, semble-t-il, qu’à ceux qui ont plus qu’une culture livresque.

 

Je crois avoir eu le temps et les moyens de connaître du dedans cette discipline. Quant à l’information strictement scientifique, ma formation universitaire me l’a apportée.

 

J’ai eu à la compléter, pendant les deux années, de 1970 à 1972, que j’ai consacrées à Louvain à la partie théologique du travail. A Louvain, j’ai eu la chance de travailler sous la direction de Mgr Philippe Delhaye, l’un des Maîtres actuels de la Théologie morale catholique. Il m’a initié aux arcanes de cette discipline. Je lui dois tellement que c’est à mon corps défendant que j’ai dû prendre position contre lui dans les chapitres 1 et 2 de la première partie de mon travail.

 

C’est dire que ce que je redoutais le plus alors ce n’était pas de m’être trompé sur la situation actuelle de la Théologie morale catholique, mais de devoir dire la vérité sur elle au risque de subir le sort de Spinoza.

 

Aussi est-ce avec soulagement que j’ai reçu l’appréciation positive, le 15 janvier 1976, du Dominicain Brésilien Pinto de Oliveira, Professeur titulaire de la Théologie morale à l’Université de Fribourg, le petit Rome de la Suisse, à qui j’avais soumis les deux premières parties du travail, un mois auparavant.

 

Quant au projet lui-même, je dois avouer que quand je l’ai soumis à quelques Maîtres, que ce soit à Kinshasa ou à Louvain, personne ne voulait assumer la responsabilité de m’aider à le réaliser. La réponse a toujours été que le sujet était trop difficile.

 

Je dois à Madame Madeleine Barthélémy Madaule d’avoir cru que si le sujet était difficile, il n’en était pas moins abordable.

 

Après avoir couru de Kinshasa à Louvain, jusqu’à Bonn pour rencontrer le Professeur F. Böckle, en 1972, c’est à un Maître de l’Université française que je dois d’avoir mené à bien ce travail, pour la soutenance duquel je me trouve devant vous.

 

En dépit du caractère crucifiant de l’épreuve de cet après-midi, c’est donc avec quelque fierté, mêlée de reconnaissance, que je me soumets à l’appréciation de l’Université française.

 

Je voudrais, néanmoins, rappeler à ses Maîtres qu’ils n’ont pas à faire à un vieux routier des Lettres françaises, mais plutôt à un sympathisant débutant.

 

Mon travail n’est pas, loin s’en faut, un chef-d’œuvre. Je le présenterais volontiers, comme un essai, une tentative bien modeste d’harmoniser des choses qui ne sont peut-être pas harmonisables : théologie, philosophie, occidentalité, africanité, nature, surnature, des termes qui représentent des horizons de pensée tous également préoccupants en Afrique Noire.

 

En faisant ce travail, j’ai voulu apporter ma petite contribution à l’effort d’ouverture harmonieuse et sans complexe de l’Afrique Noire au monde moderne.

 

Voilà, Monsieur le Président, Madame, Messieurs du jury, la lecture supplémentaire, que je ferais de mon travail avant de le proposer à votre appréciation.

 

Je vous remercie.

 

Amiens, le 22 juin 1976     

   

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

PHOBA MVIKA J.

Dr ès Lettres d’Etat

PROFESSEUR ORDINAIRE

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

II

 

 

MON ITINERAIRE INTELLECTUEL AU SERVICE DU PARTENARIAT   « GRECS »-« BARBARES », « BARBARES »-« GRECS »

 

ENTRETIEN PHILOSOPHIQUE AVEC LES ETUDIANTS DE L’INSTITUT PHILOSOPHIQUE JESUITE ST PIERRE CANISIUS DE

KIMWENZA (RDC) SUR INVITATION

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

UNIVERSITE DE KINSHASA

30 NOVEMBRE 2002

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

I. LES MERITES DE VOTRE INVITATION

 

Dans l’invitation, que vous m’avez aimablement adressée et pour laquelle je tiens à vous remercier vivement, vous m’avez donné la preuve de la valeur  de la formation qui vous est dispensée par nos Maîtres communs. La diversité de vos thèmes d’intérêt indique, en effet, que vous êtes rongé par l’a.b.c. du progrès humain : la soif de savoir[2], d’une part, et, d’autre part, la volonté de vaincre le clos[3].

 

Vous devinez aisément ma joie de vous voir placer la barre si haut. Comprenez mon embarras. Car c’est très difficile de rencontrer des préoccupations aussi élevées en un temps si court. La tâche m’a paru si délicate que j’en ai tremblé de peur. Aussi implorerai-je d’avance votre indulgence au cas où, ne vous rencontrant pas à vos souhaits, je vous laisserais complètement insatisfaits.

 

 

 

 

 

II. HOMMAGE A NOS MAITRES COMMUNS

 

Quoi qu’il en soit, j’ai confiance en vous. Je sais que vous me pardonnerez facilement une éventuelle contre-performance. Car vous me savez des vôtres et moi, je me sais chez moi parmi vous. En effet, mon cycle complet de philosophie et de théologie je l’ai fait à Mayidi, de 1960 à 1966, avant d’être envoyé à Lovanium, pour ma formation universitaire (1966-1969). Comme vous, j’ai reçu de nos Maîtres communs, à qui nous rendons hommage, la même soif de savoir, le même esprit d’ouverture et le même souci de perfection ou du travail bien fait[4].

 

III. L’OBLIGATION DE RENDRE COMPTE

 

Dans cet ordre d’idées, je considère votre invitation comme une convocation à comparaitre devant vous pour rendre compte de ce que j’ai fait des leçons reçues de nos Maîtres. Pour le dire tout de suite, rien n’a été facile.

 

Présumant de mes forces, je me suis, au départ, injustement culpabilisé, en me mettant la pression de tout savoir. J’ai ainsi traîné pendant très longtemps l’angoisse lancinante de ne pas tout savoir[5].

 

IV. L’ECHEC DE L’ETAPE DE LOUVAIN (1970-1972)

 

Après Lovanium, je fus envoyé à Louvain pour parachever ma formation universitaire par la formation post universitaire, selon la coutume d’alors, pour les bons éléments. Mais, au bout de deux ans, de 1970 à 1972, je quittai Louvain toujours aussi insatisfait. La compagnie des Maîtres louvanistes, pourtant si réputés et si rassurants, n’y a rien fait. Pour des raisons indépendantes de leur volonté ils ne réussirent pas à étancher ma soif. J’ai dû quitter Louvain et rentrer au pays, au grand dam des autorités de l’Université de Kinshasa, qui ont trouvé mon attitude incompréhensible et qui me reprochèrent, avec beaucoup de regrets, de rater ma chance.

 

En dépit de cet échec, mes anciens condisciples restés au pays et mes étudiants de la Faculté de Théologie de l’Université de Kinshasa me trouvèrent déjà bien savant. Ils m’enviaient et me respectaient.

 

Dieu merci, je n’ai pas cédé à la tentation de croire ce qu’ils pensaient de moi. Au contraire, leur appréciation fausse me gênait considérablement et ma détermination à poursuivre ma formation était restée ferme.

 

Les Autorités de l’Université de Kinshasa, spécialement le Recteur, Mgr Tshibangu, qui était un père pour moi et qui m’avait fait goûter le bon miel du bergsonisme, finirent par répondre à mon désir de me rendre à Paris auprès des Maîtres bergsoniens de l’Université française.

 

V. L’ETAPE DE PARIS (1973-1976), LA DERNIERE

 

Toujours aussi déterminé, je débarquai à Paris, en 1973. Paris, avec ses librairies à tous les coins des rues, m’enthousiasmait. Je dévorais les livres et je ressentis un léger apaisement. Au fait, ce léger apaisement de mon angoisse ne venait pas des lectures auxquelles je m’adonnais. Je le devais plutôt à l’encadrement bienveillant et vigilant d’une dame, le Professeur Madeleine Barthélemy-Madaule.

 

Puisant sans doute dans la riche tradition intellectuelle française des exemples similaires, elle ne cacha pas sa satisfaction de me savoir dans l’état d’insatisfaction intellectuelle où je me trouvais. Notre passion commune pour Henri Bergson cimenta notre complicité. Elle se fit un plaisir de m’introduire dans le cercle fermé des Maîtres du Bergsonisme mondial, notamment avec Henri Gouhier, l’auteur de Bergson et le Christ de l’Evangile si proche de mes préoccupations.

 

VI. L’EPREUVE DU FEU A PARIS, SIX MOIS DURANT

 

Mon insatisfaction intellectuelle considérée ailleurs comme un caprice stérile fut mieux perçue et appréciée. Elle devint même pour mes Maîtres parisiens le meilleur gage de sérieux de ma personnalité et de fécondité intellectuelle de mon projet. Madame Madeleine-Barthélemy Madaule se donna pour ingrate mission d’explorer le filon. A cet effet, 6 mois durant, elle me soumit à un interrogatoire serré, chaque samedi, de 11h à 13h. Elle s’attachait à comprendre ce que j’avais dans le ventre pour savoir si cela valait la peine qu’on le dégageât dans l’intérêt de la science et du progrès de l’humanité[6].

 

Au bout de 6 mois, l’épreuve du feu purificateur fit son effet. Je fus jugé digne d’entreprendre le grand voyage de l’initiation à la vraie liberté de l’être, privilège des mystiques et des saints. Sans garantie d’être accepté, il me fut donné l’autorisation de m’inscrire au Fichier Central des Thèses pour le Doctorat d’Etat ès Lettres, fleuron de la force  de frappe de l’Université française.

Anxieusement j’attendis qu’on me répondît. Je me sentais bien indigne d’un si grand honneur et bien incapable d’assumer une si lourde responsabilité au nom de l’Université française. En effet, sauf erreur de ma part, le Doctorat d’Etat ès Lettres est, à côté du Diplôme des Grandes Ecoles, l’un des plus prestigieux de la France culturelle, scientifique et technique.

 

VII. L’ASCENSION PERILLEUSE VERS LE SOMMET

 

Quand je reçus l’avis favorable du Fichier Central, j’en fus très ému. Mais, je ne réalisais pas l’ampleur de l’effort intellectuel et moral qu’il m’allait falloir fournir pour me sortir des sentiers battus. Ainsi commença ma pénible ascension vers la liberté vraie, dont Bergson trace si brillamment la piste dans sa magnifique œuvre philosophique, depuis la liberté sauvage des Données immédiates de la conscience (1889)  jusqu’à la libération morale des Deux Sources de la Morale et de la Religion (1932).

 

VIII. AU SOMMET DE LA MONTAGNE, 3 ANS APRES

 

Le 22 juin 1976, je soutins devant l’Université française, prise pour tribune scientifique et culturelle mondiale, ma thèse, dont le clou est la rupture de l’isolement philosophique de l’Afrique Noire et la défense de l’obligation morale suprême de l’homme de vivre humainement[7]. Au bout des 4 heures légales de soutenance je fus déclaré digne du grade de Docteur ès Lettres d’Etat avec la mention très honorable.

 

Ma thèse s’intitulait « Bergson et la théologie morale ». Elle a été reprographiée par l’Atelier de reproduction des thèses de l’Université Lille III et diffusée dans le  monde scientifique par la librairie Honoré Champion à Paris, depuis 1977.

 

Ainsi prit fin la deuxième étape de mon itinéraire, celle du parachèvement de ma formation en Occident, après l’éducation primaire, secondaire, supérieure et universitaire en Afrique. Théoriquement, j’avais toutes les raisons d’être fier. Mes anciens camarades Français enviaient mon titre. Au Congo, j’étais le premier Docteur ès Lettres d’Etat de France en Philosophie[8].

 

IX. UN SPECTACLE INSUPPORTABLE M’ATTENDAIT

 

Je me sentis pourtant très malheureux aussitôt après. Du haut de la montagne je mesurais mieux qu’auparavant l’écart entre l’obligation de l’homme de vivre humainement et l’emprise de la loi de la jungle sauvage. Ce qui m’attristait encore davantage c’est la perversion de la belle culture « grecque » mise au service d’une volonté de puissance de quelques-uns, c’est-à-dire au service du clos animal.

 

Cette perversion a comme conséquences désastreuses l’injuste réduction des cultures « barbares » à un rang subordonné et l’ouverture de la voie à tous les abus du maître vis-à-vis de son esclave ! Le spectacle de l’arrogance[9] des « Grecs », dont je partageais la culture, et celui de l’asservissement des « Barbares »[10], que, pour rien au monde, je ne voudrais cesser d’être, me paraissait encore plus insupportable. On doit bien voir que c’est le déni de l’humanité de l’homme noir et de ses valeurs par l’enseignement moral catholique qui est à l’origine de ma thèse.

 

Ainsi, la soif insatiable de savoir, qui m’avait rongé jusque là, se mua en une tout aussi insatiable soif d’équité, surtout que je venais d’enlever tout prétexte au mépris des « Grecs » pour les « Barbares » et à la méfiance des « Barbares » pour les « Grecs ». C’est une sorte de retour aux sources de mes préoccupations. Rendre pareillement justice aux « Barbares » et aux « Grecs » devenait mon cheval de bataille.

 

Ma position se démarque ainsi de celles de certains intellectuels, qui me paraissent inspirées soit par la volonté de vengeance[11], soit par la résignation, en croyant Gumplowicz[12].

 

X. A LA RECHERCHE D’UNE SOLUTION EQUITABLE

 

Ma double appartenance « grecque » et « barbare » m’engagea sur la voie de la recherche de la reconnaissance mutuelle des uns des autres. Ainsi, depuis la soutenance de ma thèse, qui a enlevé le prétexte que « Grecs » et « Barbares » avaient pour se détester, toutes mes réflexions se résument en une invitation des « Grecs » et des « Barbares » à traiter en partenaires égaux et complémentaires. Elles les convient à une tâche commune, celle de l’édification d’une maison humaine commune.

 

Aux « Grecs » je demande de laisser tomber leur dangereux complexe de supériorité. Car il ne se justifie pas et parce qu’il a poussé l’humanité à intérioriser davantage la loi de la jungle sauvage[13] que celle de la convivialité humaine. Aux « Barbares » aussi je  demande de laisser tomber leur dangereux complexe d’infériorité. Car il ne se justifie pas et parce qu’il nourrit les appétits gloutons des « Grecs », selon le principe bien connu : à mouton docile, loup glouton[14].

 

Spécialement j’invite les « Barbares » Africains à abandonner tout complexe vis-à-vis de la pensée logique, complexe par lequel ils acceptent le jugement de ceux qui les accusent d’arriération mentale, cause de leur retard scientifique et technologique. Je les y invite à se reconnaitre dans la pensée logique « grecque ». Car, c’est à l’un des leurs, l’Africain, C. Marius Victorinus, que l’on doit la première traduction latine de l’Isagoge de Porphyre, considéré comme la clé de lecture de l’œuvre logique d’Aristote, fleuron de l’esprit « grec ».

 

Comme on l’aura constaté, Bergson occupe une grande place dans mon itinéraire intellectuel. Ma pensée est très fortement inspirée par sa doctrine. Il me faut dire pourquoi.

XI. POURQUOI AVOIR CHOISI BERGSON ?

 

Pour ceux qui ne le sauraient pas, Henri Bergson est un philosophe français d’origine juive. Il est né à Paris en 1859 et mort en Janvier 1941. Il reçut le Prix Nobel de Littérature en 1927. Bergson m’a intéressé parce qu’il y a dans son œuvre une grande sensibilité et une grande ouverture aux perspectives éthiques et spirituelles, qui manquent tant à l’homme chosifié de notre temps, héritier de la révolution commerciale européenne moderne, absorbé par la préoccupation d’acheter et de vendre !

De fait, les spécialistes reconnaissent qu’il a joué un rôle considérable dans le désenclavement des esprits empêtrés dans toutes sortes de déterminismes inspirés par le scientisme moderne incarnant la seconde règle des Regulae ad directionem ingenii de René Descartes[15]. Il a par ailleurs apporté de la souplesse à une pensée philosophique sclérosée, se complaisant dans une scolastique formaliste et dépourvue d’âme ou dans un cliquetis de mots comme le dirait Ramus, le martyr de la liberté de penser.

 

Ainsi a-t-on résumé sa contribution à la pensée mondiale en disant qu’il a apporté le supplément d’âme qui faisait défaut à la société moderne, qui, comme l’arbre de la connaissance, avait grandi par-delà le bien et le mal[16].

 

A ce sujet, on a admiré sa victoire sur le matérialisme sous toutes ses formes, sa restauration de la vie intérieure et l’octroi à celle-ci du statut d’objet scientifique, remettant radicalement en question la IIème Règle cartésienne ci-dessus rappelée. Il a ainsi introduit le monde spirituel à la pensée rationnelle.

 

Grâce à lui, la métaphysique a livré et gagné une bataille décisive. En perte de vitesse depuis l’orée de la science moderne, la métaphysique a retrouvé droit de cité dans la pensée occidentale, au même titre que la sacro-science moderne.

 

Son rôle de restaurateur de la vie spirituelle à une époque aussi importante pour l’avenir de l’humanité que la fin du XIXème siècle et la première moitié du XIXème siècle fait de lui un géant de tous les temps. On dira ce que l’on voudra. Pour moi c’est l’époque où fleurissent les théories qui ont justifié la colonisation  de l’Afrique[17], dont on a unilatéralement vanté les mérites, mais dont quotidiennement nous vivons dans notre chair les effets pervers. De même de la première moitié du XXème siècle on dira ce que l’on voudra. Pour moi, elle est la période où l’humanité a goûté, par l’Europe interposée, à travers les deux guerres mondiales avec leurs horreurs inégalées, les fruits innocents mais très amers de l’arbre de la connaissance, qui a grandi par delà le bien et le mal.

 

Bref, Bergson constituait pour l’humanité entière une énorme chance. Il représentait, en effet, l’espoir d’une profonde réforme intellectuelle, morale et spirituelle de l’Occident, maître du monde.

 

Cette réforme, si elle avait eu lieu, aurait remis en question l’arrogance culturelle « grecque » et aurait permis desserrer pour toujours l’étau du système moderne sur d’immenses populations humaines écrasées au nom de la mission civilisatrice de la culture victorieuse à la Gumplowicz.

 

XII. BERGSON SERAIT-IL INDIGNE DU BERGSONISME ?

 

Hélas, comme je le montre dans une de mes réflexions, et à l’instar de ce que je dis d’Aristote, Bergson n’a pas été, par son attitude, à la hauteur des espoirs suscités par son œuvre. En refusant d’aller jusqu’au au bout du bergsonisme, il mérite de ma part le même reproche que celui fait à Hannibal, vainqueur de Rome par Caton l’ancien (234-149) : «Tu sais vaincre, Hannibal, mais tu ne sais pas utiliser ta victoire[18] ».

 

La suite, on la connait, Rome n’est pas tombée. De même, les perspectives ouvertes p       ar Bergson n’ont pas provoqué la transformation du credo matérialiste et dominateur de l’Occident, loin s’en faut. Celui-ci reste matérialiste et dominateur. Il s’affirme d’ailleurs aujourd’hui plus arrogant que jamais. Il n’est pas devenu spiritualiste, ouvert, convivial et respectueux de l’autre.

 

La situation des déshérités de la terre s’aggrave chaque jour un peu plus et la stabilité du monde n’a jamais été aussi précaire, en dépit du déploiement des forces des Maîtres actuels du monde. Mais est-ce juste de faire dépendre le changement escompté dans le monde de l’attitude d’un seul homme ? Sans doute non. Mais, l’on ne peut nier que quelque chose se serait passé si Bergson, membre éminent de la culture « grecque » avait eu le courage de franchir, par la conversion, les portes de la culture « barbare ». Car ce monde profite toujours de ce genre de demi-terrain, comme on dirait à Kinshasa, pour ne pas accomplir l’ensemble du trajet. La médiocrité humaine trouve là un lit tout fait.

 

Si Bergson s’était converti, par exemple, le monde occidental, qui était si fier de son génie, se serait senti acculé à adopter les priorités éthiques et spiritualistes chrétiennes, qu’il défendait. Il n’y a pas de doute que cela aurait contribué à une gestion plus humaine des affaires de la planète. Il ne faut pas être un grand sociologue pour se rendre compte de la catastrophe humaine actuelle sous les apparences reluisantes de solidarité et de respect des droits de l’homme.

 

XIII. SAVOIR SURMONTER SES LIMITES CULTURELLES

 

Nos réflexions sont une occasion, une de plus sans doute, mais pas trop, nous semble-t-il, de souligner la nécessité de surpasser les limites culturelles, qui emprisonnent même les meilleurs esprits. Il faut bien savoir, en effet, que les limites de Bergson sont celles-là mêmes de la culture « grecque », dans laquelle baigne l’ensemble de l’intelligentsia occidentale. Le moins que l’on puisse en dire est qu’elle émet de très sérieuses réserves à l’endroit des autres cultures, qualifiées du reste de «barbares », avec le sens péjoratif que l’on devine. Mais, avec l’avènement de la pensée complexe, que Bergson a inspirée, à la suite de Blaise Pascal (1623-1662), les choses sont en train de changer. Est barbare toute pensée ou toute attitude non pertinente, c’est-à-dire, qui n’intègre pas la dimension globale des choses.

 

Mais si Bergson a failli, le bergsonisme n’a pas failli. Il a défendu avec brio l’ouverture totale à la Saint Paul. Selon le bergsonisme, il ne peut plus y avoir ni « Grecs » ni « Barbares ». De ce point de vue, on peut appliquer à Bergson l’appréciation qu’il a faite lui-même du projet de Socrate, à savoir que le « grec », qu’il était, a maté l’oriental ou le «barbare », qu’il voulait être.

 

Malheureusement, l’attitude de Bergson est toujours actuelle. La distance entre le dire principiel et le faire factuel chez les gestionnaires de la planète est le fléau qui mine la gestion moderne de la planète.

 

XIV. NI «GRECS » NI « BARBARES », MAIS !

 

Existentiellement « Grecs », les gestionnaires de ce monde affichent des fois la volonté d’épouser les intérêts des « Barbares », au nom des grands principes d’égalité et de fraternité humaines universelles. Mais la peur d’aller trop loin et surtout de perdre leur position dominante ou leur confort les fait reculer. Préférant le confort de leur position, ils mettent au frigo les exigences morales des grands principes qu’ils défendent.

 

Ils laissent le monde en l’état, avec tous les risques, que l’on devine aisément et auxquels la force des choses rend aujourd’hui les hommes plus sensibles que jamais. Le terrorisme interpelle ! Face aux « Grecs », les « Barbares » voudraient aussi être « Grecs » ne serait-ce que pour jouir des biens de ce monde aujourd’hui réservés aux seuls « Grecs ». Mais la peur de perdre leur âme les bloque. La méfiance vis-à-vis des « Grecs »[19] les bloque. Refusant de répondre positivement à ce désir d’être autre, ils se renferment, récriminent et s’isolent. On peut deviner les conséquences désastreuses qui peuvent à la longue en résulter.

 

En raison de l’attitude de refus d’ouverture réciproque des uns vis-à-vis des autres, elle parait compromise l’édification de la maison humaine commune où il fasse bon vivre pour tous les hommes, globalisation oblige. De ce fait et c’est dommage, on assiste à l’exacerbation de la méfiance interculturelle.

 

XV. LE REFUS D’OUVERTURE COMME MAL SUPREME DE NOTRE TEMPS OU LA NOUVELLE MISSION DES INTELLIGENCES

 

On peut dire que c’est le refus de l’ouverture, qui est le mal suprême de notre temps. Car techniquement tout est prêt pour la communion humaine. A ce fléau devraient s’attaquer toutes les intelligences « grecques » et « barbares ». Nos réflexions-flash constituent notre modeste contribution à la recherche, qui doit être mondiale, de la solution du problème de la persistance de la fracture humaine moderne et des difficultés de sa réduction significative.

 

Leur objet est, je l’ai déjà noté, d’engager « Grecs » et « Barbares » à oser faire le saut dans l’autre camp, sans arrière-pensée. A cette fin, nos réflexions se préoccupent de rassurer tout le monde. Elles affirment l’égale valeur des cultures « grecque » et « barbare ». Elles dénoncent ensuite le danger mortel que le refus réciproque d’ouverture franche et sincère, fait courir à l’humanité.

 

Enfin, elles invitent « Grecs » et « Barbares » à se rendre culturellement visite, en toute simplicité et en toute humilité humaine. L’autre n’est pas enfer, mais une nouvelle chance pour soi, une bénédiction, qui ne demande qu’à s’accomplir.

 

Tandis que certaines réflexions invitent les « Grecs » à un pèlerinage aux sources « barbares » de la vie et de la sagesse, d’autres auront déjà invité les « Barbares » à celui aux sources « grecques » de la pensée.

 

Nous pensons que ces pèlerinages, s’ils sont effectués dans l’esprit qu’il faut, peuvent rendre les uns et les autres aptes à se comprendre et à mieux gérer les enjeux d’aujourd’hui.

 

Le sort de l’humanité ne peut être amélioré si la reconnaissance mutuelle et respectueuse des cultures fait défaut.[20] Faute de respect culturel mutuel, l’humanité court inexorablement à sa ruine avec persistance de la loi de la jungle sauvage : « il faut manger afin de n’être pas mangé ».

 

XVI. VERS UNE MAISON HUMAINE COMMUNE COMME NOUVEL HORIZON DE L’HUMANITE

 

Puissent mes réflexions aider chacun à mieux assumer son obligation de continuer à vouloir vivre humainement, à garder les réflexes humains, quelles que soient les provocations de l’inhumanisme de plus en plus agissant aujourd’hui. Chacun de nous devrait se préoccuper dans le cadre de la globalisation envahissante, d’intérioriser d’abord très sérieusement la souveraineté de son Etat. Pour nous, le Congo d’abord, le reste ensuite. C’est cette intériorisation, qui rendrait crédible notre contribution à l’édification de la maison humaine commune, où il fasse bon vivre pour tous, « Grecs » et « Barbares », « riches » et « pauvres », « forts » et « faibles », « majoritaires » et « minoritaires ».

 

Tel est l’horizon de la modernité humaine. Telle est la nouvelle frontière, la seule digne du 3ème millénaire, dont il a été dit qu’il sera d’inspiration spirituelle, humaine et conviviale ou il ne sera pas[21].

 

N’en déplaise aux intérêts de l’industrie des armes, qui a besoin de guerres pour prospérer !

 

Je voudrais terminer en vous disant tout le bien que je pense de votre invitation à cet entretien philosophique, ce dont je vous remercie encore une fois très vivement.

 

Je voudrais vous remercier tout aussi vivement pour votre attention et surtout pour l’indulgence, dont vous ferez preuve, au cas où mon témoignage de l’être vous ennuierait et serait pour vous une pure perte de temps.    

 

Quoi qu’il en soit, mon message est clair. Il ne suffit pas de posséder le savoir, philosophique ou autre, et d’en jouir personnellement.

 

Il faut, en outre, faire preuve de savoir-être, en l’intériorisant, et de savoir-faire, en en faisant un moteur d’actions concrètes au service de la communauté nationale d’abord, comme terrain d’expérimentation, et,  ensuite, à celui de la communauté humaine, horizon humain régulateur de toute action d’Etat national.

                                            

  Fait à Kinshasa, le 30.11.2002

 

PHOBA MVIKA J.

PROFESSEUR ORDINAIRE

 

 

 

 

LIBRES OPINIONS POUR MEMOIRE

SOUS LA DIRECTION DE

PHOBA MVIKA J.

Dr ès Lettres d’Etat

PROFESSEUR ORDINAIRE

 

 

 

 

 

 

 

III

 

 

DIEU

MYTHE VAINCU PAR LA SCIENCE OU REALITE INDOMPTABLE

 

PAR

 

KUZENZAMA MARTIN

DR EN THEOLOGIE BIBLIQUE

PROFESSEUR ORDINAIRE

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

UNIVERSITE DE KINSHASA

28 OCTOBRE 2006

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Après la Philosophie[22] et la Morale[23], les Libres Opinions se devaient de parler de Dieu, cette réalité si fondatrice pour l’homme comme pour les autres êtres, mais dont l’existence même est rendue problématique par tant de dénis arrogants et d’ignorances crasses à travers l’histoire.

 

Dieu, cet inconnu, voilà la chanson répandue ça et là dans la conscience humaine par certains penseurs. Dieu est mort, voilà ce que le matérialisme moderne euro-occidental proclame triomphalement et voudrait imposer à tous comme la voie de la libération humaine.

 

Quand on sait que les cadeaux des « Grecs » sont empoisonnés, il ne serait pas sage de suivre aveuglément le matérialisme euro-occidental, dans lequel, d’ailleurs, l’écrasante majorité des hommes ne se reconnaît pas, même si, à propos de Dieu, la bêtise humaine a, de tout temps, été  sans limites.

 

Les fragments reproduits ci-dessous de Xénophane illustrent merveilleusement cet état des choses : « Les mortels croient que les dieux sont nés comme eux, qu’ils ont des sens, une voix, un corps semblable. Les Grecs … se les représentent comme des Grecs ; les Ethiopiens fabriqueront leurs dieux en noir avec le nez camus.

 

« Les Thraces leur feront les yeux bleus et les cheveux roux. Et si les bœufs ou les lions avaient des mains, s’ils savaient dessiner et travailler comme des hommes, les bœufs … leur donneraient des corps comme ils en ont eux-mêmes.

 

« Homère et Hésiode ont attribué aux dieux tout ce qui, chez les hommes, est honteux et blâmable ; le plus souvent ils leur prêtent des actions criminelles : vols, adultères, tromperies réciproques … actes contraires aux lois.

« Si l’on jetait un coup d’œil en dehors de la Grèce, … par exemple, … chez les Sumériens, les Egyptiens, les Chinois, en Inde, au Japon, chez les Hébreux, chez les Mayas du Mexique, on trouverait … les mêmes affabulations »[24].

 

De ce point de vue, le problème n’est pas tant  de savoir si Dieu existe, mais qui il est en vérité. Nous fondant sur les résultats de nos recherches doctorales, dont il a été fait état dans la réflexion I du présent recueil, nous savons ce qu’il y a lieu de faire pour découvrir le visage de Dieu en vérité.

La voie royale, pour découvrir son visage et connaître Dieu si on le connaît pas encore, est d’interroger ceux qui l’ont déjà découvert et ont dialogué avec lui. Les chrétiens savent que si le meilleur révélateur du Père c’est son Fils, le Verbe de Dieu fait Homme, tous ceux, qui croient dans le Fils et à qui le Fils a bien voulu se révéler, sont des témoins révélateurs du visage de Dieu.

Comme « Heureux, dit Empédocle(Vè s. av. J.-C.), est celui qui possède l’intelligence du divin et malheureux celui qui, sur les dieux, n’a qu’une obscure croyance »[25], les Libres Opinions ont donné la parole à l’un de ses témoins, en la personne du Professeur Abbé Martin Kuzenzama, Dr en Théologie biblique au Campus Universitaire de Kinshasa depuis plus de trente ans.

Après avoir cru devoir se conformer aux règles de sa formation « grecque », Martin Kuzenzama s’est livré, pour le plus grand bonheur des lecteurs des Libres Opinions. Je lui laisse la parole sans plus tarder :

« Le visage de Dieu m’a été révélé, dit-il, par étapes. D’abord dès ma première enfance, par mes parents, catéchistes catholiques. Puis aux écoles primaire et secondaire, à travers les cours de Religion.

On m’y a parlé surtout d’un Dieu à commandements, dont il fallait redouter les réactions punitives, en cas de violation de ses ordres répercutés par notre Eglise Catholique romaine.

Ensuite, ce fut au Grand Séminaire. En Philosophie, nos Maîtres s’évertuaient à nous fournir les preuves rationnelles de l’existence de Dieu, pour répondre à ses dénégations par la culture occidentale.

Le Dieu qu’alors je percevais était loin d’être une entité personnelle, facilement abordable.

Quand j’entamai la Théologie, le Dieu qu’on nous présentait était toujours celui nié par les athées. La tâche de nos Maîtres était alors de nous demander de défendre sa réalité contre vents et marées en notre qualité de futurs pasteurs.

Ce qui me guidait personnellement c’était le puissant attrait qu’exerçait le divin sur moi. C’est pour cette raison que je portais un intérêt particulier à l’étude scientifique des écrits sacrés de l’histoire des religions, notamment la Bible.

De quel que nom qu’on ait appelé la réalité divine : Dieu, le Ciel, l’Eternel, l’Invisible, le Maître, le Seigneur, le Transcendant, ce qui m’attirait de façon  déterminante, c’étaient les exemples des personnes ayant fait l’expérience du divin.

Elles affirment avoir vu, entendu et même palpé cette réalité invisible. Les connaissances vécues et immédiates de l’Invisible en faisant pour moi des témoins privilégiés, c’est-à-dire des signes de sa présence parmi les hommes.

Peu à peu je suis arrivé à comprendre que Dieu est « Celui qui donne l’existence … », « Celui qui est à l’origine de toute vie »[26], « Celui qui a créé le Ciel et la Terre », c’est-à-dire « Celui qui fait exister tout l’univers »[27].

Si Dieu est le Créateur absolu[28] et si l’univers est son œuvre, alors l’un et l’autre, me disais-je, devaient avoir une relation fondamentale, même si celle-ci échappe à nos catégories habituelles de pensée.

Je ressens l’existence d’une telle communication lorsque je suis conscient de la présence de mon Créateur, aussi bien du fond de moi-même qu’autour de moi et finalement partout.

J’ai, toutefois, relevé que le Créateur tenait compte de nos modes cognitifs d’esprit incarné. C’est à travers eux qu’il nous révèle naturellement sa gloire[29] cachée dans la création. L’Ecriture dit qu’elle n’est pas vide, mais remplie de ladite gloire[30].

J’ai été frappé de constater qu’aucun témoin de Dieu n’a eu le moindre doute, quant à son origine ou à sa nature. Tous l’ont toujours saisi comme une sorte de super réalité, qui est là et qui s’impose de soi. Voilà l’un de ses multiples traits.

L’autre trait personnel de Dieu, que j’ai noté, c’est son omnipotence ou sa toute puissance. Quand Dieu agit, il se révèle être d’une efficacité absolue : rien ne résiste à sa « parole ». Ce qu’il dit se réalise infailliblement[31].

J’ai enfin remarqué que Dieu, bien que transcendant, était très proche, très présent dans notre monde. Jamais il ne m’est apparu comme un monarque lointain. Bien au contraire, il m’a toujours paru comme quelqu’un de très attentif à mon sort[32].

Sa bonté, sa délicatesse, bref, son amour est ineffable. On dirait qu’il prend plaisir à faire le bonheur de l’homme. Tout se passe comme s’il éprouvait une immense satisfaction en contemplant sa création, son œuvre[33].

En outre, bien que Maître-de-tout, le Dieu que j’ai rencontré se révèle plein de respect et de considération pour la liberté de l’homme, sa créature, de sorte que même quand il commande[34], il ne violente jamais la volonté de l’homme.

Cela est apparu notamment dans ma vocation. C’est en termes de « Si tu veux », qu’il s’est adressé à moi. Et c’est en termes de « Quiconque désire » qu’il s’exprime quand il invite les hommes à entrer dans son Royaume.

L’autre caractéristique de Dieu que j’ai découverte, c’est sa décision de partager sa vie avec les hommes, en le libérant de tout ce qui l’empêche d’être pleinement accompli dans son esprit et dans son corps.

Pour y parvenir, il m’est paru avoir patiemment préparé l’homme à accueillir le don de sa vie. A travers des signes multiples et des personnages soigneusement choisis, il s’est rendu progressivement proche de l’homme.

Mais c’est en Jésus de Nazareth[35] que semble être consommé le don de Dieu à l’homme. En lui, se trouvent reflétés tous les traits permettant à l’homme de reconnaitre adéquatement le visage de Dieu et de partager sa vie.

Jésus, affirme la Bible, est la Parole vivifiante de l’Eternel, rendue visible et tangible par les hommes[36], de sorte que voir et écouter Jésus équivaut à voir et écouter Dieu lui-même[37].

Les témoins directs de Jésus l’ont entendu parler de Dieu comme son Père. Il le leur a présenté comme leur Père aussi, c’est-à-dire leur Créateur plein de bonté, d’une bonté qui veut que l’homme se confie à lui en toute confiance.

Il a recommandé un dialogue permanent entre l’homme et Dieu, à l’instar de celui de l’enfant avec son père. Ce dialogue s’appelle prière. Il veut que l’homme lui parle souvent, le plus simplement possible et sans intermédiaire[38].

Les témoins susnommés, à savoir les Apôtres, ont vu Jésus se soucier des gens en situation d’embarras tels que la soif[39], la faim[40], la peur[41] ou la simple fatigue due au labeur[42].

Les mêmes témoins ont remarqué chez Jésus une maîtrise souveraine sur les éléments cosmiques[43] ; il prend une apparence lumineuse et s’entretient avec le monde céleste, alors qu’il séjourne encore sur notre terre[44].

Pour montrer qu’il vient donner aux hommes une vie pleine[45], Jésus s’occupe de l’être humain intégral. Non seulement il pardonne les péchés[46] aux pécheurs, mais aussi il rend la santé aux malades, jusqu’à ressusciter les morts[47].

Parfait mandataire du ciel, Jésus jouit d’une autorité qui manifestement ne relève d’aucune tradition humaine connue, qu’elle soit égyptienne, grecque, rabbinique[48]. Cela rend sa parole libératrice et rassurante pour ceux qui l’acceptent[49].

Venu au nom de celui qu’il appelle son père pour rendre l’homme libre de toutes les entraves, Jésus n’hésite pas à exposer sa vie pour combattre l’assujettissement des esprits par certaines traditions humaines trop légalistes[50].

Contre la dureté habituelle des dirigeants de ce monde, Jésus miséricordieux comme son père, prône la compassion surtout envers les petites gens[51]. Il fustige toute forme de violence et d’orgueil méprisant propre aux grands de ce monde.

Il enseigne, en revanche, la douceur, l’humilité et la paix entre les hommes[52]. Il ne terrorise pas les bénéficiaires de sa présence agissante. Au contraire, il les encourage avec bonté[53] à persévérer et à demeurer dans Son amour.

Toutefois, ni sa douceur, ni son humilité ni son souci de paix ne remettent en cause ses prérogatives de Fils de Dieu, de Maître et Seigneur non seulement sur les humains[54], mais aussi sur les éléments et le temps[55].

Voici une autre particularité de Dieu manifestée par Jésus-Christ : l’omniscience. Rien ne lui échappe. Il sonde les reins et les cœurs[56]. Cela fait de lui un juste juge plein  d’équité[57].

Au sommet du témoignage de Jésus-Christ sur Dieu il  y a son incontestable crédibilité. La crédibilité absolue de Jésus, témoin de l’Invisible, est fondée sur la réalisation parfaite de ses prérogatives divines.

Elle s’est manifestée dans sa propre résurrection d’entre les morts et dans son retour auprès de celui d’où il était venu.

C’est cela qui fait de Jésus le pont véritable, l’unique pont entre le monde de Dieu et celui des hommes.

Concluons :

Les Libres Opinions pour mémoire m’ont demandé de parler de Dieu pour le faire connaitre à ceux qui ne le connaitraient pas. Dès le début, j’ai indiqué que je me référerais à mon expérience personnelle.

Mon point de départ était l’attrait exercé sur moi par le divin. Etait-ce à cause du bon environnement familial dont j’ai bénéficié ou était-ce par privilège réservé aux saints et aux mystiques fascinés par le divin ? Je ne sais pas.

C’est cet attrait du divin qui m’a fait embraser la vie monastique d’abord, ensuite la vie sacerdotale. Il m’a poussé vers les études bibliques jusqu’au doctorat. J’en suis resté marqué tout a u long de ma vie personnelle et professionnelle.

A travers les études faites, j’ai pu mieux organiser rationnellement ma connaissance de Dieu, jusqu’à avoir de lui l’intuition, dont le contenu est la matière du présent numéro des Libres Opinions pour mémoire.

A ce sujet, je rends un hommage appuyé au Professeur Phoba Mvika, créateur et directeur des Libres Opinions pour mémoire, qui me permettent de parler de mon expérience de Dieu en toute liberté, sans pour autant sacrifier les exigences intellectuelles universitaires.

Comme on a pu le voir, je suis devenu témoin de l’Invisible, bien que je n’en aie pas le moindre mérite. Suis-je de ces témoins authentiques qu’un Bergson a appelés héros, saints et mystiques ? Loin de moi une telle prétention.

Toujours est-il qu’ils sont nombreux, de toute race et de toutes époques, ancienne et moderne : les Jean l’Apôtre, les Paul de Tarse, les Augustin d’Hippone, les Cyprien de Carthage, les Isidore Bakanja, les Annuarite et les Padre Pio.

Ces témoins de Dieu ne sont ni des mythomanes, ni des psychopathes victimes d’hallucinations, ni des idéologues en mal de fariboles. Les sciences psychologiques et historiques l’attestent. Ce sont des personnes bien équilibrées.

En ce qui me concerne c’est depuis la tendre enfance que je suis fasciné par cette réalité indicible et invisible. Comme l’Apôtre Jean l’a fait, je suis heureux de transmettre ce que j’ai vécu de cette réalité si proche et pourtant si lointaine : Dieu.

Il m’est apparu comme quelqu’un de très présent, de très attentif, de très bon, mais aussi de tout-puissant. La création du monde et le don de sa vie à l’homme, fait à son image, sont les fruits de cette bonté toute-puissante.

Ceux qui voudraient connaitre cette bonté toute-puissante, comme moi je l’ai connue, sont invités à rencontrer, à travers son Evangile, celui qui en est la révélation vivante ou l’incarnation : Jésus de Nazareth, le Verbe de Dieu.

Ceux qui croient en lui reçoivent la vie de Dieu en abondance et, même s’ils meurent, ils ont l’assurance de vivre éternellement auprès de lui dans la maison de son père. Voilà l’intelligence du divin qu’il m’a été demandé de partager ici »

Nous remercions le Professeur Kuzenzama, qui permet aux lecteurs des Libres Opinions de s’approprier la parole d’Empédocle d’Agrigente déjà évoquée ci-dessus : « Heureux est celui qui possède l’intelligence du divin et malheureux celui qui, sur les dieux, n’a qu’une obscure croyance ».

Fait à Kinshasa, le 28. 10. 2006.

 



[1] Composition du jury : M. Bernard ROUSSET, Président, Professeur à l’Université de Picardie, Mme BARTHELEMY MADAULE, Rapporteur, Professeur à l’Université de Picardie, M. Jacques BRUNSCHWIG, Maître de Conférences à l’Université de Picardie, M. HOUIS, Directeur à l’Ecole des Hautes Etudes, M. Pierre TROTIGNON, Professeur à l’Université de Lille III.

2La Pensée et le Mouvant, p. 1-2.

[2] « Si la curiosité, comme toutes les tendances, peut-être utilisée bassement, sous forme d’invasion de la vie privée qui a donné au mot ‘curiosité’ ses connotations désagréables, elle n’en est pas moins l’une des qualités les plus nobles de l’esprit humain. Car sa définition la plus simple est ‘désir de savoir’. Ce désir trouve ses premières satisfactions dans les réponses aux besoins pratiques de la vie de tous les jours. Comment semer et récolter au mieux, comment fabriquer au mieux arcs et flèches, comment tisser le mieux possible -en somme des questions techniques-. Mais quand on domine ces techniques élémentaires, quand les besoins matériels sont satisfaits, que faire ? Inévitablement, le désir de savoir conduit alors à des activités moins limitées et plus complexes. Il semble certain que les ‘beaux-arts’ (destinés à satisfaire des besoins spirituels confus et infinis) sont nés d’un ennui insupportable … Mais si la pratique des beaux-arts est une solution satisfaisante au problème des loisirs, elle a un inconvénient : en plus d’un esprit actif et créatif, elle exige de l’habilité manuelle. Il peut être aussi intéressant de se livrer à des activités intellectuelles qui n’exigent aucune habilité physique. Et bien entendu, il existe de telles activités : la recherche du savoir, non pour s’en servir dans un but pratique, mais pour lui-même. Ainsi, le désir de savoir semble mener à des sphères successives d’abstractions croissantes, occupant de plus en plus l’esprit, du savoir-faire au savoir ‘faire beau’, puis au savoir tout court ». ASIMOV, I., L’Univers de la science, Paris, Inter Edition, 1986, p. 5.

[3] Dans la philosophie bergsonienne le processus de l’émergence et de la maturation humaines s’effectuent dans une sorte de genèse du clos vers l’ouvert. Statiquement, clos et ouvert sont les deux pôles entre lesquels oscillent les vies des hommes, comme entre un double passage à la limite, le clos évoquant la limite inférieure et l’ouvert la limite supérieure.

[4] De nos maîtres communs j’ai, en effet, appris à intérioriser l’a.b.c. de l’héroïsme moderne, dont la petite Thérèse de Lisieux a magistralement administré la preuve au monde, en élevant au sommet de la perfection une vie plus que banale et par une mort tout aussi banale dans son lit, entre les quatre murs d’un couvent. Grâce à son exemple, tout homme, quel que soit, où qu’il se trouve et quelle que soit sa charge, peut accéder à l’héroïsme moral ou à l’héroïsme tout court. Il lui suffit de faire correctement son travail. Il n’est plus nécessaire, pour être héros, d’être assassiné ou d’exercer des fonctions officielles en vue. Les Etats qui marchent sont ceux qui puisent leur énergie dans l’héroïsme de leurs citoyens, toujours fiers du devoir accompli au soir de chaque jour de travail. Les Etats qui boitent sont ceux où les citoyens ont démissionné devant leurs responsabilités et qui attendent tout d’un hypothétique Etat-Providence. Pour paraphraser feu le Président Kabila, le Mzee, l’Etat qui marche est celui où les citoyens ont à cœur de se prendre en charge et de prendre leur Etat en charge.

[5] A tort j’ai longtemps considéré que « tout savoir » était le devoir d’état de toute personne engagée, comme nous le sommes, sur le chemin du savoir. Il m’a fallu attendre longtemps pour savoir qu’il était tout à fait normal qu’un être humain ne sache pas tout. L’ultime sagesse humaine est d’ailleurs de savoir qu’on ne sait rien ou qu’on ne sait pas grand-chose du vaste univers extérieur et intérieur.

[6] La démarche, toute socratique, de Madeleine Madaule devrait inspirer tout éducateur. Mais, d’expérience, je sais qu’elle ne suscite pas l’engouement des étudiants. Evitant tout risque, ils préfèrent la sécurité des berges et des vallées aux risques de la plongée ou de l’ascension.

[7] Au lendemain du mai 1968 parisien, avec son célèbre graffiti « il est interdit d’interdire », ce n’était plus évident du tout. L’offensive chosifiante et amorale de la modernité atteignait les sommets de la banalisation du nihilisme humain au vu et su de tous.

[8] L’exemple de la volonté d’aller jusqu’au bout de l’effort et des exigences universitaires occidentales a été immédiatement suivi par les Elungu Alphonse et d’autres, qui s’étaient déjà fait une place au soleil du savoir philosophique en Afrique. Je venais d’ouvrir la voie étroite du savoir-être philosophe et non seulement philosophant.

[9] En dépit de l’appel d’Henry David THOREAU, Walden ou la vie dans les bois, traduit de l’américain, Lausanne, Editions de l’Age d’Homme, 1985, p. 287, et d’autres esprits éclairés en Occident, l’offensive des racistes européens du XIXème siècle a laissé des traces dans le vécu quotidien des Noirs. A force de s’entendre dire qu’on ne vaut rien on finit par le croire et de se comporter comme des incapables. L’Essai sur l’inégalité des races de Gobineau et Race noire, race inférieure, sans doute du physiologiste français Charles Richet, sont dans la mémoire de chacun d’entre nous.

[10] Le passage des Noirs De l’esclavage à la liberté, dont parle John Hope Franklin dans Histoire des afro-américains, Nouveaux Horizons, 1984, est loin d’être effectif. Depuis le déclin de l’Egypte, le goût des Noirs pour la servitude volontaire semble devenu viscéral.

[11] Sans doute plus envie de ressembler aux Blancs que vengeance. Si l’antadiopisme répond à une volonté de puissance par une autre volonté de puissance, le Kimbanguisme prône plutôt la substitution : « les Blancs seront des Noirs et les Noirs seront des Blancs ».

[12] D’origine juive polonaise et de culture universitaire, Ludwing Glumplowicz se fit l’avocat de ce qu’on appelé la « sociologie du conflit », théorie selon laquelle les races primitives se haïssaient et luttaient pour la suprématie. La civilisation était supposée issue de cette lutte. Les « Grecs » en sont réputés vainqueurs.

[13]«Il fallait manger afin de n’être pas mangé ». D’ailleurs, le spectacle actuel montre que l’homme est allé plus loin. On dirait que manger autrui est devenu un simple sport. Il se pratique quand bien même on ne serait pas soi-même en danger immédiat d’être mangé. Ainsi, en dépit des extraordinaires avancées technologiques, l’homme moderne a du mal à décoller de la nature. Le déficit humain, après 5 siècles de progrès scientifiques et technologiques, donne le vertige à ceux qui sont encore sains d’esprit. L’éthique balbutie, incapable de donner le coup de barre vigoureux que l’humanité attend d’elle, comme gardienne de la volonté de vivre-humainement.

[14] Evoqué par Soljénitsyne dans le tome 2 de L’archipel du Goulag, Seuil, 1974.

[15] Regula II : « toute science étant une connaissance certaine et évidente, toute réalité, qui ne peut être objet d’une connaissance certaine et évidente, ne peut être objet de science. Ne se préoccuper que de ce que l’esprit peut connaître de manière certaine et évidente », in DESCARTES, René, Regulae ad directionem ingenii (Règles pour la bonne direction de l’esprit), Paris, Vrin, 1992.

[16] On peut lire à ce sujet les judicieuses observations et réflexions de Jeanne Hersch dans son texte : « Le philosophe devant la politique ». Voir JASPERS, K., La bombe atomique et l’avenir de l’homme, Paris, Plon, 1959, p. 1. Avec le recul que permet le temps, on se rend compte qu’il fallait plus qu’un simple supplément d’âme au monde moderne, mais l’âme elle-même !

[17] Parmi les penseurs racistes du XIXème siècle on cite généralement le comte Français Arthur de Gobineau (1816-1882), les Allemands Paul Anton de Lagarde (1827-1891), Ludwing Gumplowicz (1838-1909), Alfred Rosenberg (1893-1946) et l’Anglais Houston Stewart Chamberlain (1855-1927). Le Comte Arthur de Gobineau écrivit, au milieu du XIXème siècle, un long traité sur L’inégalité des races humaines. Il y affirmait que la science fournit des nombreuses preuves de la supériorité absolue de la race blanche sur les races noire et jaune. Selon Gobineau, les Blancs dominent par l’intelligence énergique, le courage, la persévérance, la force physique et l’amour de la liberté (Essai …, Paris, 1953-1955, vol. I. 4ème Edition, Firmin-Didot, p. 216).

[18] Marcus Perclus Cato : « Vincere scis, Hannibal, sed victoria uti nescis » 

[19] Timeo Danaos et dona ferentes. Ce qui veut dire tous les cadeaux des Grecs sont  empoisonnés. Les Troyens l’ont appris à leurs dépens !

 

[20] Les théories comme celles d’un Gobineau ou d’un Glumplowicz doivent être combattues partout avec sincérité et détermination. C’est le prix à payer pour sauver la civilisation humaine. Il faut rappeler que Ludwing Gumplowicz se fit l’avocat de ce qu’on a  appelé la «sociologie du conflit », théorie selon laquelle les races primitives se haïssent et luttaient pour la suprématie. La civilisation était supposée issue de cette lutte. Son ouvrage le plus important s’intitulait Le combat des races (1883) Voir BOURKE, V.J., Histoire de la morale, Paris, Cerf, 1970, p. 328-329.

 

[21] L’inspiration grecque, matérialiste, dominatrice, exclusiviste et chosifiante a amené le monde à une catastrophe humanitaire majeure.

[22] Libres Opinions pour mémoire, n° XXII.

[23] Libres Opinions pour mémoire, n° XXIV.

[24] Cité par CHEVALIER, E.J et BADY, R., L’âme grecque, Marguerat, s.d. p. 321.

[25] Fragments, 131. Ibid.

[26] C’est fort probablement le sens du tétragramme YHWH dans Exode 3, 14.

[27] Gn. 1, 1 ; 14, 19-22 ; Is. 51, 16 ; Ps. 146, 6 ; 2 Chr. 2, 11 ; Dn. 14, 5. Dans la suite de mon texte, j’abrégerai les références bibliques de peur qu’elles ne deviennent fastidieuses.

[28] Le verbe Hébreu ‘bara’, employé exclusivement pour Dieu, signifie faire exister de façon souveraine : … l’Eternel fait tout dépendre de lui, sans que lui-même ne dépende de quoi que ce soit.

[29] La gloire de Dieu c’est sa nature en tant que manifestée.

[30] Is. 6, 3 ; Ps.19, 1-7 ; Rm. 1, 19-20.

[31] Dans le récit génésiaque de la création, la formule « Dieu dit » revient dix fois : Gn. 1, 3. 6. 9. 11. 14. 20. 22. 24. 26. 28.

[32] Ps. 139, 7-12 ; Sir. 42, 16-17. Sans épiloguer sur l’existence d’êtres angéliques, j’estime qu’on peut considérer le terme «ange », ou l’expression ange du Seigneur comme traduisant en fait l’idée d’un Dieu transcendant mais toujours aux côtés de l’homme pour l’assister et le secourir.

[33] Dans la cosmogonie biblique, la formule exprimant la satisfaction du Créateur devant son œuvre arrive sept fois : Gn. 1, 4. 10. 12. 18. 21. 25. 31.

[34] Par exemple : « Quitte ton pays … », « Va dire … », « Viens … ».

[35] Jn. 1, 14. 18 ; Col. 1, 15 ; Héb. 1-3.

[36] Voir 1 Jn. 1, 1-3.

[37] Jn. 12, 45-50 ; 14, 9.

[38] Mt. 6, 5-13 ; 7, 7-11 ; 26, 41.

[39] Jn. 2, 1-12 : l’eau changée en vin aux noces de Cana.

[40] Jn. 6, 1-15 ; Mc. 8, 1-10 : la multiplication des pains.

[41] Lc. 8, 22-25 : Jésus apaise la tempête.

[42] Mc. 6, 31 : le repos des disciples après le travail.

[43] Mc. 9, 2-7 : la Transfiguration sur le mont Thabor.

[44] Jn. 10, 10.

[45] Mt. 9, 2 ; Lc. 7, 48.

[46] Mt. 8, 7-17 ; Jn. 17, 11-19.

[47] Lc. 8, 49-56 ; Jn. 11, 38-44.

[48] Mt. 7, 28-29 ; Jn. 5, 19-47.

[49] Jn. 8, 32-36.

[50] Mt. 23, 13-36 ; Mc. 7, 6-13 (interdits alimentaires supprimés) ; Lc. 14, 1-6 ; 20, 45-47.

[51] Mt. 5, 7 ; 9, 36 ; 20, 34 ; Lc. 7, 13.

[52] Mt. 5, 5-9 ; 11, 25-30 ; 19-21.

[53] Mt. 12, 20.

[54] Jn. 13, 13-14.

[55] Mt. 12, 8 : le Fils de l’Homme est le Maître du Sabbat.     

[56] Mt. 12, 25 ; Jn. 16, 30 ; 21, 17.

[57] Jn. 5, 22. 27. 29.

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